Travailler pour Ashoka, c’est entrer dans un nouveau monde. Un monde où il n’y a pas de problèmes, mais des opportunités. Regardez le monde sous cet angle, et tout vous paraît possible. Cet article raconte ma visite de l’école José Antonio Encinas Franco, de San Juan de Miraflores, dirigée par Ana Bertha Quiroz, Fellows d’Ashoka.
L’arrivée à San Juan de Miraflores choque. Il faut savoir que San Juan de Miraflores est un district de Lima qui est délimité au nord par le district de Santiago de Surco. Alors que Surco se caractérise par ses espaces verts, ses quartiers résidentiels fermés, ses villas pour classes moyennes, et son Université Ricardo Palma à l’architecture ostentatoire, c’est un paysage « urbain » bien différent que l’on trouve à San Juan. Les trottoirs disparaissent pour laisser place à la terre brute. Les routes deviennent subitement défoncées. Les poubelles y sont éventrées. Les taxis sont remplacés par les moto-taxis. Les maisons perdent leurs deuxièmes étages. Surtout, la poussière envahit l’espace, tout devient sale et gris alors que l’on monte sur le flanc de colline où s’entassent des habitations de plus en plus vétustes.
Tout en haut, les plus pauvres se sont installés sur un ancien élevage de cochon (selon l’expérience de mon amie Marie qui, par erreur de transport, s’est retrouvée tout là haut) et vivent dans une odeur pestilentielle et, surtout, dans des conditions d’hygiènes déplorables.
Lima n’est pas une ville particulièrement saine et l’air y est bien souvent peu respirable. Mais, à San Juan de Miraflores, comme dans tous les districts pauvres de Lima, c’est la saleté et la poussière qui vous assaillent.
Pourtant, au cœur de cela, une école, bien différente des autres, promeut la santé, le bien-être, le respect de l’environnement, la créativité et la citoyenneté.
Une école de la vie
La réalité de l’éducation dans Pamplona (quartier de l’école d’Ana), ce sont des enfants qui travaillent en dehors des cours, des élèves qui s’endorment durant les classes, des enfants en état de mal voire sous nutrition, des conditions de vie et d’hygiène déplorables, et enfin, et surtout, une sorte d’acceptation du fait d’être pauvre, et donc sales. C’est en tout cas ce qu’a trouvé Ana lorsqu’elle est arrivée au début des années 1990 comme directrice de l’école/collège de José Antonio Encinas Franco. Depuis ce temps, elle et ses collègues ne travaillent que pour un objectif commun : permettre aux enfants de sentir bien et de s’épanouir.
L’école d’Ana n’est pas la panacée pour le quartier et n’ouvre malheureusement pas toutes les portes vers la richesse et le développement économique mais elle a le grand mérite d’être une école de la vie, qui change, peu à peu, les habitudes et l’estime de soi de chaque enfant, et par extension, de sa famille. Pour cela, Ana a attaqué un par un tous les problèmes de l’école et des enfants pour en trouver des solutions et les intégrer dans son programme pédagogique.
Education et santé
La première impression que l’on a en entrant dans l’école, c’est un sentiment de propreté et de rangement qui contraste avec la saleté de l’extérieur. On y trouve des poubelles dans tous les recoins (ce qui au Pérou en général, est très rare !), des instructions sur comment se laver les mains et comment utiliser l’eau (ne jamais boire l’eau du robinet), et même une infirmerie qui organise des campagnes de vaccinations au cours de l’année scolaire.
Si cela peut paraître normal à nos yeux, ceci est presque révolutionnaire ici. Surtout lorsqu’Ana nous raconte que « lorsque nous sommes arrivés ici, un groupe de professeur et moi, cette école était connue sous le nom de « La Basura » - La Poubelle. C’était simple : être pauvre voulait dire être sale ». L’école était un selon elle un nid de microbes et de maladies et les enfants étudiaient dans des conditions horribles.
C’est donc à travers un fort travail d’éducation sur la santé et l’hygiène, relevant de sa propre volonté et non de normes publiques, qu’Ana a réussit à appliquer dans son école des normes d’hygiènes strictes que les enfants intègrent et exportent dans leurs familles. En parallèle de cela, et pour éviter que les parents se sentent inférieurs à leurs enfants, Ana a mis en place un programme d’éducation pour les mères et pères de ses élèves sur les thèmes de la santé et de l’hygiène.
Parce qu’avant tout, avoir un avenir, c’est vivre dans un environnement sain et être en bonne santé.
Une autre composante très importante de l’école d’Ana, c’est la citoyenneté. Le jour de ma visite était également celui des élections du comité représentant des élèves ; j’ai donc pu observer de près cette particularité.
L’école forme les citoyens de demain. Jusque là, rien de bien nouveau : tous les régimes et pays du monde entier l’ont compris. Au Pérou, chaque élève doit chanter l’hymne national au petit matin et défiler lors des Fiestas Patrias (Fête de la Patrie). De plus, et de manière plus concrète, les élèves doivent élire des représentants et ce dans tous les Colegios péruviens.
Quelles sont donc les particularités du véritable laboratoire de citoyenneté d’Ana?
- Non pas un mais plusieurs délégués
Tout d’abord, chaque classe désigne non pas un mais plusieurs délégués et chacun ont une spécialisation : délégué de la santé, délégué de la défense de l’enfant, délégué de l’auto-estime,… Au total, ce sont environ 7 délégués qui sont désigné par classe pour représenter leurs camarades selon tels ou tels thèmes. Il s’agit presque d’un mini gouvernement que l’on trouve dans chaque classe.
Au niveau du collège entier, il existe un conseil des élèves : ce sont les délégués de l’ensemble des élèves, également répartis selon chaque catégorie.
Etre délégué, un honneur
Ensuite, être délégué n’est pas une tâche que l’on assume « parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse… ».
Etre délégué est un vrai poste honorifique, qui octroie une véritable reconnaissance sociale au sein de l’école.
De par ce fait, la plupart des élèves ont déjà été délégués ou ce sont déjà présentés pour l’être.
Des élections pour et par les élèves, aussi jeunes soient-ils
Lors du processus d’élections, qui a lieu dans chaque classe, de la première année de primaire (5 ans) à la dernière année du secondaire (16 ans), les élèves sont complètement autonomes. Ce sont eux qui organisent le déplacement des élèves, l’inscription sur les listes, la vérification de la pièce d’identité, la prise d’empreinte et enfin, le vote, fait dans des petites cabines spécialement conçus pour l’occasion. Le comité électorale, uniquement composé d’élèves, est en charge du bon déroulement, tant au niveau organisationnel qu’au niveau de la liberté des votes, de l’élection.
Avant les élections, chaque élève a reçu une formation donnée par les délégués (eux-mêmes formés par une association de défense de l’enfance), sur le processus de vote. Par ailleurs, chaque liste a pu présenter son programme devant ses camarades avant les élections.
- Un modèle entièrement participatif
Impressionnée par ce processus d’élection entièrement dirigée par les élèves, je demande à Ana son rôle dans tout cela. C’est alors qu’elle m’explique que, contrairement aux autres écoles où le directeur se positionne tout en haut de la hiérarchie de l’école, elle a mis en place un modèle participatif, sous la forme d’un cercle dont le centre est l’élève et autour duquel gravite toutes les autres organes de l’école (incluant également l’association de parents d’élèves).
Pour avoir rencontré le président du comité électoral (16 ans) et la présidente du conseil des élèves sortant (16 ans), tous deux délégués depuis la primaire, je vous assure n’avoir jamais rencontré d’élèves aussi matures… Plus qu’une école, il s’agit d’un laboratoire de citoyenneté. Dans un pays où la corruption et les scandales politiques font si souvent la une des journaux, cela donne de l’espoir…
Parce qu’aussi, avoir un avenir, c’est exister, connaître ses droits et devoirs, participer, être citoyen.
Education et microentreprises
Etre un enfant à Pamplona, c’est devoir travailler très tôt pour aider sa famille. Ceci est une réalité à laquelle Ana a du faire face. Toujours dans son optique de permettre aux enfants de s’épanouir et de vivre comme des enfants, elle a donc mis en place des ateliers où les enfants développent leurs capacités et leurs talents pour qu’ils puissent, par la suite et s’ils le souhaitent, avoir leur propre petite entreprise. Cela ne les empêchera surement pas de travailler très jeunes. Mais au moins, ils auront certaines capacités qui leur
permettra d’être plus indépendants et moins exploités.
Partant de cette vision assez réaliste des choses, les ateliers « Ideas de negocios » permettent aux enfants de créer, à travers des matériaux qu’ils achètent eux-mêmes, des objets d’artisanat pour pouvoir les vendre par la suite. Les enfants peuvent également apprendre à cuisiner pour pouvoir vendre par la suite certains plats.
Pour être franche, je reste assez divisée sur cette dernière composante de l’école d’Ana. Si je reconnais l’idée, j’ai du mal à concevoir comment cela peut vraiment aider les enfants, bien que, il faut l’admettre, leurs produits soient de très bonne qualité. Cette mesure a au moins le mérite de développer la créativité des élèves, leur côté « manuel » dont ils auront certainement besoin dans leur vraie vie.
Parce qu’aussi, avoir un avenir, c’est se prendre en main, se débrouiller, quoiqu’il arrive.
Education et opportunités
Ceci m’amène donc à mes impressions finales sur cette visite. Si je reste absolument étonnée et émerveillée par les efforts faits en termes de santé et de citoyenneté, c’est avec le cœur un peu lourd et triste que je rentre chez moi. Une seule question me trotte dans la tête : que vont devenir ces enfants ? Quelles opportunités ont-ils ?
Seuls 10 sur 150 iront à l’université. La principale barrière : le financement. L’université a beau être publique, les parents n’ont même pas les moyens de leurs payer le transport journalier vers un établissement d’éducation supérieur.
Si les élèves d’Ana sortent sans conteste du collège avec plus de valeurs citoyennes, plus de capacités, plus d’estime de soi et d’envie de poursuivre, la barrière économique reste souvent la plus haute. Ce facteur externe ne rend pas le travail d’Ana inutile, loin de là, mais limite son ampleur.
Quel défi pour Ana ? Permettre à ses élèves qui grâce à son travail ont toute la volonté du monde d’obtenir des bourses pour continuer leurs études dans le supérieur, décrocher un meilleur emploi et rompre le cycle de la pauvreté.