dimanche 6 novembre 2011

"Be the change you want to see in the world." Gandhi.

Après plusieurs semaines passées à vitesse grand V, plusieurs weekends passés en dehors de Lima et un voyage de quelques jours dans le Nord du Chili, je trouve enfin le temps d’alimenter ce blog. En réalité, plusieurs expériences de ce mois d’Octobre vont finalement s’entremêler dans cet article. J’ai en effet décidé de faire de celui-ci  à la fois une sorte de newsletter de ma vie péruvienne et, via un travail de contextualisation, ma réflexion personnelle sur le thème du changement.

Je voudrais commencer ici par mon expérience dans les bidonvilles de San Juan de Lurigancho via l’ONG Un Techo Para Mi Pais.


Un Techo Para Mi Pais (Littéralement : un toit pour mon pays) est une association de la société civile plutôt connue mondialement et très connu en Amérique Latine. Née au Chili d’un groupe d’étudiants révolté par la pauvreté extrême présente dans leur pays, l’ONG se donne comme  mission « d’améliorer la qualité de vie des familles en situation de pauvreté à travers de la construction de logement d’urgence et la mise en place de plan d’habilitation social, via un travail conjoint entre des jeunes volontaires et ces communautés ». Concrètement,  UTPMP sélectionne certaines familles de quartiers pauvres des grandes villes du continent pour leur apporter une « maison » d’urgence plus saine, plus solide et plus commode. Parallèlement, UTPMP recrute pour un weekend ou pour quelques jours des étudiants volontaires pour venir construire avec les familles sélectionnées les dîtes maisons afin de leur ouvrir les yeux sur la situation de certaines populations au sein de leur propre ville.

Malgré le côté « Bonne conscience de riche » de ce programme, j’ai décidé de participer à une de ces constructions surtout afin de prendre contact avec ce monde dont on parle beaucoup et que l’on connaît peu, ce monde qui nous indigne sans qu’on en mesure vraiment les causes et les conséquences, ce monde que l’on sait présent sans toutefois le voir directement : je parle du monde des « bidonvilles », favelas au Brésil, que l’on appelle gentiment ici « pueblos jovenes » (villages jeunes »).


Me voilà donc partie pour un weekend à San Juan De Lurigancho, district le plus pauvre de Lima, à environ 1h30 de Miraflores. L’objectif est de construire une maison en bois sur le petit terrain de la famille qui nous a été assignée : la famille de Victoriano (oncle), Concepciona (tante) et de Roberto (neveu).

Joie des enfants de la famille lorsque nous installons le plancher

Déjeuner délicieux avec la famille


Un peu d'escalade pour fixer "el Techo"

Inauguration de la maison















« Ils-n’ont-pas »

Au-delà de l’expérience humaine en soi, je découvre pour la première fois ce que l’on appelle « bidonville ». Il s’agit surtout d’un ensemble de « ils-n’ont-pas » : ils n’ont pas d’accès à l’eau potable, ils n’ont pas d’accès sécurisé à l’électricité, ils n’ont pas de système de ramassage des déchets, ils n’ont pas d’environnement sain et propre, ils n’ont pas de place, ils n’ont pas d’accès facile à leur domicile,…

« Ils » : une génération trompée et sacrifiée.

Qui sont ces « ils ? ».

J’aimerai pouvoir dire que ce sont des personnes qui transpirent la joie de vivre et la simplicité de la pauvreté. Mais la vérité est qu’à San Juan de Lurigancho, j’ai rencontré des pères de familles qui travaille de jour (comme moto-taxi, épicier ou conducteur de combis) et de nuit (comme gardiens de nuit ou boulanger). Ces pères de familles semblent ne jamais se relâcher : ils vivent pour travailler et ne s’autorisent que très peu de repos et relaxation. Ce sont des forces de la nature, forgés par la misère, qui se battent face à tous ces « ils-n’ont-pas ».

La majorité de ces familles viennent de province et ont émigré à Lima dans l’espoir de trouver un meilleur cadre de vie. Victoriano m’a raconté qu’il a choisi ce terrain parmi ceux que lui proposait l’Etat parce que ce dernier lui avait promis un accès à l’eau potable et à l’électricité dans les mois qui suivraient son installation. Cela fait 6 ans que Victoriano et sa famille sont installés et les promesses n’ont évidemment pas été tenus. Il s’agit donc bien d’une génération trompée, trompée par un Etat qui n’apporte pas à sa population les premières nécessités.

Les bassines pour transporter l'eau (il y avait bien un  robinet mais il fuyait beaucoup)
Ces bassines servent également pour se laver

Si ces promesses ne sont pas tenues, pourquoi ne retournent-ils pas d’où ils viennent, où ils avaient pour la plupart des conditions de vie meilleures, avec plus d’espaces et des terres à cultiver ? Alors que je pose la question à Victoriano, il me répond qu’au moins, ici, à Lima, ses enfants peuvent aller à l’école. Et oui, même si ces enfants doivent marcher pendant une petite heure pour aller à l’école, ils ont en effet accès à une éducation primaire et secondaire. L’éducation, porte d’entrée vers un avenir social plus radieux, semble donc être la raison qui pousse ses pères de familles à vivre dans ces conditions. En ce sens, il s’agit d’une génération sacrifiée, sacrifiée pour l’avenir de leurs enfants. Pourtant, l’espoir que représente l’éducation au Pérou reste très mince, faute d’un système éducatif qui permette l’inclusion sociale.

A travers de cette réflexion, je voudrais venir à la conclusion suivante : ces populations vivent dans des conditions de vie terribles, payant l’eau beaucoup plus chère que n’importe quelle population riche, vivant sur une déchèterie génératrice de maladies, ignorant les principes d’hygiène élémentaires, à cause d’un manque d’action politique de la part de l’Etat péruvien.

Il s’agit en effet de l’impression la plus forte que m’a laissée ce weekend sur le cœur et l’esprit. Certes, nous avons aidé cette famille à ne plus vivre à 12 dans 10m² dans un taudis fait de bric à brac. Ceci dit, cette famille va continuer à vivre à 12 dans 18m² dans une maison en bois sans eau et sans électricité,  loin de toute influence des pouvoirs publics.

Mon expérience avec Un Techo Para Mi Pais, a généré en moi indignation, colère et surtout frustration : l’impression terrible de n’avoir fait que très peu pour aider ces personnes, l’impression terrible de rester impuissante face à l’ampleur du problème.

Cela m’a poussé à réfléchir à la question suivante : comment changer la situation ?


Comment générer un changement global, durable, irréversible, en bref, systématique ?

« Un entrepreneur social ne se contente pas de donner un poisson, ou d’apprendre à pêcher, il ne sera satisfait que lorsqu’il aura révolutionné toute l’industrie de la pêche ». 
Bill Drayton, président-fondateur d’Ashoka.

Lorsque je parle de changement, je veux parler d’un changement global (ample dans l’espace), durable (ample dans le temps) et irréversible (construit sur des bases telles que l’on ne pourra pas revenir à la situation antérieure). Je veux parler d’un changement systémique : il s’agit de changer chaque rouage du système qui crée telle ou telle situation insatisfaisante.

Cette vision systématique du changement n’est pas celle d’Un Techo Para Mi Pais. En revanche, il s’agit de celle d’Ashoka et de chacun des entrepreneurs sociaux qu’Ashoka sélectionne et soutient. Ici se trouve le lien entre mon expérience à Techo et mon travail avec Ashoka.

J’admire le travail d’UTPMP, mais cette association travaille dans l’urgence et offre des solutions de courts termes à ces populations. Il existe bien des programmes d’éducation à la santé et au développement de l’économie familiale, mais finalement, en excluant l’Etat de son travail, UTPMP ne pourra jamais éradiquer les bidonvilles.  

Ceci m’amène à expliquer comment Ashoka et ses fellows procède pour parvenir à un changement systématique. Je développerai surement dans un autre article certains exemples de Fellows qui ont réussi à produire ce changement systématique dans leur domaine.

1/ Innovation sociale locale.

L’entrepreneur voit sur le marché des opportunités de faire du business en répondant à un besoin. Pour cela, il invente et commercialise un produit ou un service répondant au besoin en question. L’entrepreneur social, de la même manière, voit dans la société des problèmes sociaux, qu’il transforme en opportunité de créer une activité permettant de répondre à un besoin social. Il invente une solution au problème social.  Il s’agit d’une innovation sociale.
La plupart des Fellows d’Ashoka mettent en place leur innovation sociale, la teste, à une échelle très réduite d’une communauté, d’un village ou d’une population très particulière. 

Exemple : Fabio Rosa, au Brésil, est arrivé dans une communauté rurale reculé en tant qu’agent publique spécialiste de l’agroalimentaire. Il s’est rendu compte que sans électricité, la communauté rurale n’avait aucune chance de développer sa production agricole. Il se donne donc comme mission d’apporter l’electricité au village. En parlant avec plusieurs spécialistes il met au point un système peu coûteux de faire parvenir l’électricité. Il le met en place dans le village.


2/ Développement spatial:

Une fois l’innovation sociale testée et reconnue comme une véritable solution au problème social ciblé, l’entrepreneur social vise à changer d’échelle : il développe son modèle dans l’espace.

Fabio Rosa, une fois son modèle testé dans son village d’origine, commence à le développer dans d’autres villages.

3/   Politiques publiques :

Cette étape est plutôt en réalité le résultat attendu d’un processus parallèle à toutes les actions de l’entrepreneur social qui vise un changement systématique. Ce processus vise en effet à l’implémentation de politiques publiques local, régional, nationale voire internationale répondant au problème social que l’entrepreneur adresse : l’objectif est de rendre son entreprise social inutile.

Ceci suppose trois éléments que j’observe chaque jour dans le travail que nous faisons avec Universidad Coherente ou avec Ashoka

--> Un travail permanent pour faire pression sur les politiques publiques en mettant sur l’agenda national le thème en question 
--> Un travail permanent pour développer ses relations directes avec le gouvernement : l’idée est de soutenir et aider le gouvernement à être acteur du changement
--> Se présenter comme une solution au problème social : le pilote de l’entrepreneur social doit servir de modèle à l’Etat dans la mise en place de politiques publiques

Fabio Rosa, pour mettre en place son système d’acheminement de l’electricité, travaille en étroite relation avec l’Etat. Petit à petit, offrant à l’Etat une solution peu coûteuse de répondre à un problème récurrent dans un pays aussi grand et rural que le Brésil, Fabio Rosa parvient à faire mettre en place par le gouvernement son système dans toutes les régions du pays.

Cette stratégie de changement est évidement extrêmement simplifiée ici et selon les cas varient énormément. Mais l’idée est la suivante : au Pérou (et je pense dans beaucoup d’autres pays), la société civile ne peut seule permettre un changement systématique. Il  y aura changement systématique lorsque l’Etat, utilisant les solutions apportées par la société civile,  prendra en charge une part de ce changement.

Ceci soulève de nombreux thèmes que je développerai peut-être par la suite, notamment celui la faiblesse de l’Etat péruvien ou encore celui de son incapacité à agir dans les provinces péruviennes. 

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