Depuis plus d’un mois, un conflit social agite fortement la région de Cajamarca, au nord du Pérou. Opposant la mine Yanacocha à la population locale, le conflit a pris une telle envergure que le 5 décembre dernier, le président Humala a annoncé l’état d’urgence pour 60 jours sur toute la région. Au delà de ce dernier fait qui décrit la gravité du conflit, j’ai décidé de prendre ces évènements comme sujet d’article car ils renvoient avec force le Pérou à ses contradictions.
Le conflit prend sa source dans le projet d’exploitation minière de l’entreprise Yanacocha, projet dénominé “Conga”. Il consiste à extraire de l’or d’une vingtaine de lagunes de la province de Celedín, dans la région de Cajamarca. Le problème est que ces lagunes sont sources d’eau pour une grande partie des communautés locales et la présence d’une exploitation minière risquent fortement de contaminer cette eau. Bien que l’Etude d’Impact Environnemental réalisée par Yanacocha prévoit le remplacement de ces lagunes par des réservoirs d’eau et ainsi l’empêchement de toute contamination, les manifestants d’une part remettent en cause la véracité de cette étude (réalisée en trop peu de temps pour être exacte) et d’autre part s’indigne devant un tel remplacement, qui n’empêcherait pas la catastrophe écologique. A la suite des violences qui ont bléssé une vingtaine de personne, Yanacocha a suspendu le projet le 30 novembre. Cependant, les manifestants, qui veulent l’annulation totale de Conga, continuent à protester et les négociations se poursuivent difficilement.
En bref, le conflit se résume en une question simple qui fait la une de tous les journaux du pays : “¿Oro o Agua?” (Or ou eau à prononcer sur le même ton que “La bourse ou la vie!”)
¿Oro o Agua? : les enjeux du projet Conga
Choisir l’or, c’est choisir 10 152 millions de dollars. Yanacocha, entreprise minière la plus influente de la région, voire du pays, prévoit un investissement de 4 800 millions de dollars dans le projet Conga. Cela génererait donc pour l’Etat, du fait des forts impôts miniers et du système de concession, une source de richesse considérable. Comme je crois l’avoir déjà expliqué, l’impôt minier est une des premières sources de revenus de l’Etat péruvien qui le redistribue aux gouvernements régionaux et locaux pour financer des projets d’infrastructures, de santé, d’éducation… L’impact pour la région serait donc considérable.
Choisir l’eau, c’est choisir de ne pas contaminer une population déjà à bout de souffle. La région de Cajamarca compte 49.1 % de pauvres, 15.3% de personnes en situation d’extrême pauvreté. Pourtant, l’activité minière, censée rapporter tant à la région, y est présente depuis bien longtemps. Pourquoi le développement et l’inclusion sociale tarde-t-il tant à se faire ressentir? Surement par un manque de gestion correcte des ressources. En tout cas, pour la population qui ne voit pas les bénéfices qu’apporte la mine, il est hors de question de laisser contaminer, en plus, ses sources d’eau potable. Choisir l’eau, c’est choisir l’environnement, surtout, c’est choisir la vie, c’est choisir la vie d’une population qui souffre déjà tant et aui ne voit pas les bénéfices de l’activité minière.
¿Oro o Agua? : au delà de Conga, la division des péruviens
Le projet Conga a fait (re)surgir les divisions profondes qui animent les péruviens quant à l’activité minière. Cette division, pleine de préjugés, se fait entre les “prominas” et les “antiminas”.
Les prominas sont vus par les antiminas comme des capitalistes assoifés de dollars et de pouvoir. Pour les antiminas, les prominas sont ceux qui extraient les richesses du Pérou et repartent sans prendre en compte les dommages qu’ils causent par leur passage.
Les antiminas, sont pour les prominas, des “izquierdistas” (“gauchiste” , bien que le terme en péruvien sonne beaucoup plus fort, à la limite du terrorisme) qui n’ont aucune vision des réalités et du caractère nécessaire de la mine pour le Pérou. Pour certains, ce sont des activistes greenpeace façon péruvienne qui empêchent le bon déroulement de l’activité minière.
Cette vision très machinéenne est malheureusement celle qui prédomine dans l’opinion publique populaire. Au milieu, se trouve ceux qui considèrent l’activité minière comme bénéfique au pays du fait des richesses qu’elle apporte, mais qui souhaitent une régulation plus forte de la part de l’Etat pour éviter les “dommages collatéraux”.
Justement, l’Etat…
¿Oro o Agua? : l’Etat, forcé d’entrer dans la danse
Presidente Humala |
Si la présidence de García a été clairement placée sous le signe de l’ouverture sans limites aux investissements étrangers et donc à l’activité minière, le plan de gouverment d’Humala indiquait que “l’exploitation des ressources naturelles par les économies minières étrangères ne peut continuer”, générant ainsi de larges expectatives sociales.
Cependant, face au conflit Conga, le gouvermenent ne semble pas aussi sûr de ces positions: “l’idée n’est pas de choisir entre l’or et l’eau, mais de trouver un moyen d’avoir les deux” annonçait Humala.
En effet, que les péruviens le veulent ou non, le Pérou est un pays minier et l’activité minière rapporte au pays ce qui est nécessaire pour continuer son processus de développement économique et social, théoriquement tout du moins. Renoncer à l’or, pour le gouvernement, cela revient à couper la branche sur laquelle il est assis. D’un autre côté, choisir l’or, et renoncer à l’eau, c’est prendre une décision contre sa propre population et son propre environnement.
Coincé dans une position difficile, le gouverment semble incapable de prendre des décisions et rejette sans cesse les responsabilités, notamment vers les gouverments régionaux et locaux qui, ne manquent pas de lui renvoyer la bombe à retardement que représente ce conflit.
C’est donc un manque de gouvernabilité, un manque de prise de décision, des problèmes de gestion et de prise en charge des responsabilités qui font de la gestion de ce conflit, une gestion désastreuse. L’Etat se révèle incapable de faire face aux demandes de la population. Frustrée, celle-ci ne voit donc qu’une possibilité de se faire entendre: la protestation et la violence. Ceci est d’ailleurs alimenté par certains acteurs qui, sous pretexte de “représenter” la population, diabolise les mines et le gouvernement. Ainsi, un des “leaders” du mouvement anti-conga est un ancien condamné pour terrorisme, Wilfredo Saavedra, a en réalité très peu d’appui de la part de la population.
Au final, ¿Oro o Agua?
On le voit bien, c’est à l’Etat de jouer un rôle de régulateur et de trouver la meilleure issue à ce conflit. Evidemment, il me paraît inimaginable que l’on discute un projet qui risque de contaminer des milliers de personnes. C’est de la responsabilité de l’Etat, car il s’agit finalement d’une question de santé publique, de mettre un terme à ce projet. Cela ne doit pas vouloir dire mettre un terme à l’activité minière dans la région et le pays. Le Pérou a besoin de l’activité minière, il doit apprendre d’une part à en établir les limites (environnementales surtout) et d’autres part à faire un usage plus efficace des ressources ainsi générés : l’activité minière doit servir le développement.
Selon moi, le conflit Conga est un signal d’alerte pour le Pérou. Un avertissement démontrant que le chemin surlequel est engagé le pays économiquement, c’est à dire celui d’un pays uniquement exportateur de ressources naturelles, n’est pas viable. Il est temps pour le pays, de prendre la décision politique et économique de diversifier ses activités pour ne pas avoir à décider entre l’or et l’eau, entre la richesse et la vie, entre les entreprises et la population.