jeudi 8 décembre 2011

“CONGA SÍ O SÍ” vs “CONGA NO VA”




Depuis plus d’un mois, un conflit social agite fortement la région de Cajamarca, au nord du Pérou.  Opposant la mine Yanacocha à la population locale, le conflit a pris une telle envergure que le 5 décembre dernier, le président Humala a annoncé l’état d’urgence pour 60 jours sur toute la région. Au delà de ce dernier fait qui décrit la gravité du conflit, j’ai décidé de prendre ces évènements comme sujet d’article car ils renvoient avec force le Pérou à ses contradictions.


Le conflit prend sa source dans le projet d’exploitation minière de l’entreprise Yanacocha, projet dénominé “Conga”. Il consiste à extraire de l’or d’une vingtaine de lagunes de la province de Celedín, dans la région de Cajamarca. Le problème est que ces lagunes sont sources d’eau pour une grande partie des communautés locales et la présence d’une exploitation minière risquent fortement de contaminer cette eau. Bien que l’Etude d’Impact Environnemental réalisée par Yanacocha prévoit le remplacement de ces lagunes par des réservoirs d’eau et ainsi l’empêchement de toute contamination, les manifestants d’une part remettent en cause la véracité de cette étude (réalisée en trop peu de temps pour être exacte) et d’autre part s’indigne devant un tel remplacement, qui n’empêcherait pas la catastrophe écologique. A la suite des violences qui ont bléssé une vingtaine de personne, Yanacocha a suspendu le projet le 30 novembre. Cependant, les manifestants, qui veulent l’annulation totale de Conga, continuent à protester et les négociations se poursuivent difficilement.




En bref, le conflit se résume en une question simple qui fait la une de tous les journaux du pays : “¿Oro o Agua?” (Or ou eau à prononcer sur le même ton que “La bourse ou la vie!”)

¿Oro o Agua? : les enjeux du projet Conga

Choisir  l’or, c’est choisir 10 152 millions de dollars.  Yanacocha, entreprise minière la plus influente de la région, voire du pays, prévoit un investissement de 4 800 millions de dollars dans le projet Conga. Cela génererait donc pour l’Etat, du fait des forts impôts miniers et du système de concession, une source de richesse considérable.  Comme je crois l’avoir déjà expliqué, l’impôt minier est une des premières sources de revenus de l’Etat péruvien qui le redistribue aux gouvernements régionaux et locaux pour financer des projets d’infrastructures, de santé, d’éducation… L’impact pour la région serait donc considérable.

Choisir l’eau, c’est choisir de ne pas contaminer une population déjà à bout de souffle. La région de Cajamarca compte 49.1 % de pauvres, 15.3% de personnes en situation d’extrême pauvreté. Pourtant, l’activité minière, censée rapporter tant à la région, y est présente depuis bien longtemps. Pourquoi le développement et l’inclusion sociale tarde-t-il tant à se faire ressentir? Surement par un manque de gestion correcte des ressources. En tout cas, pour la population qui ne voit pas les bénéfices qu’apporte la mine, il est hors de question de laisser contaminer, en plus, ses sources d’eau potable. Choisir l’eau, c’est choisir l’environnement, surtout, c’est choisir la vie, c’est choisir la vie d’une population qui souffre déjà tant et aui ne voit pas les bénéfices de l’activité minière.


¿Oro o Agua? : au delà de Conga, la division des péruviens

Le projet Conga a fait (re)surgir les divisions profondes qui animent les péruviens quant à l’activité minière. Cette division, pleine de préjugés, se fait entre les “prominas” et les “antiminas”.

Les prominas sont vus par les antiminas comme des capitalistes assoifés de dollars et de pouvoir. Pour les antiminas, les prominas sont ceux qui extraient les richesses du Pérou et repartent sans prendre en compte les dommages qu’ils causent par leur passage.

Les antiminas, sont pour les prominas, des “izquierdistas” (“gauchiste” , bien que le terme en péruvien sonne beaucoup plus fort, à la limite du terrorisme) qui n’ont aucune vision des réalités et du caractère nécessaire de la mine pour le Pérou. Pour certains, ce sont des activistes greenpeace façon péruvienne qui empêchent le bon déroulement de l’activité minière.    

Cette vision très machinéenne est malheureusement celle qui prédomine dans l’opinion publique populaire. Au milieu, se trouve ceux qui considèrent l’activité minière comme bénéfique au pays du fait des richesses qu’elle apporte, mais qui souhaitent une régulation plus forte de la part de l’Etat pour éviter les “dommages collatéraux”. 

Justement, l’Etat…

¿Oro o Agua? : l’Etat, forcé d’entrer dans la danse

Presidente Humala 
Si la présidence de García a été clairement placée sous le signe de l’ouverture sans limites aux investissements étrangers et donc à l’activité minière, le plan de gouverment d’Humala indiquait que “l’exploitation des ressources naturelles par les économies minières étrangères ne peut continuer”, générant ainsi de larges expectatives sociales.

Cependant, face au conflit Conga, le gouvermenent ne semble pas aussi sûr de ces positions: “l’idée n’est pas de choisir entre l’or et l’eau, mais de trouver un moyen d’avoir les deux” annonçait Humala.

En effet, que les péruviens le veulent ou non, le Pérou est un pays minier et l’activité minière rapporte au pays ce qui est nécessaire pour continuer son processus de développement économique et social, théoriquement tout du moins. Renoncer à l’or, pour le gouvernement, cela revient à couper la branche sur laquelle il est assis. D’un autre côté, choisir l’or, et renoncer à l’eau, c’est prendre une décision contre sa propre population et son propre environnement.

Coincé dans une position difficile, le gouverment semble incapable de prendre des décisions et rejette sans cesse les responsabilités, notamment vers les gouverments régionaux et locaux qui, ne manquent pas de lui renvoyer la bombe à retardement que représente ce conflit.

C’est donc un manque de gouvernabilité, un manque de prise de décision, des problèmes de gestion et de prise en charge des responsabilités qui font de la gestion de ce conflit, une gestion désastreuse.  L’Etat se révèle incapable de faire face aux demandes de la population. Frustrée, celle-ci ne voit donc qu’une possibilité de se faire entendre: la protestation et la violence. Ceci est d’ailleurs alimenté par certains acteurs qui, sous pretexte de “représenter” la population, diabolise les mines et le gouvernement. Ainsi, un des “leaders” du mouvement anti-conga est un ancien condamné pour terrorisme, Wilfredo Saavedra, a en réalité très peu d’appui de la part de la population.



 Au final, ¿Oro o Agua?

On le voit bien, c’est à l’Etat de jouer un rôle de régulateur et de trouver la meilleure issue à ce conflit. Evidemment, il me paraît inimaginable que l’on discute un projet qui risque de contaminer des milliers de personnes. C’est de la responsabilité de l’Etat, car il s’agit finalement d’une question de santé publique, de mettre un terme à ce projet. Cela ne doit pas vouloir dire mettre un terme à l’activité minière dans la région et le pays. Le Pérou a besoin de l’activité minière, il doit apprendre d’une part à en établir les limites (environnementales surtout) et d’autres part à faire un usage plus efficace des ressources ainsi générés : l’activité minière doit servir le développement.

Selon moi, le conflit Conga est un signal d’alerte pour le Pérou. Un avertissement démontrant que le chemin surlequel est engagé le pays économiquement, c’est à dire celui d’un pays uniquement exportateur de ressources naturelles, n’est pas viable. Il est temps pour le pays, de prendre la décision politique et économique de diversifier ses activités pour ne pas avoir à décider entre l’or et l’eau, entre la richesse et la vie, entre les entreprises et la population.

dimanche 27 novembre 2011

De la Basura à un modèle d'éducation...


Travailler pour Ashoka, c’est entrer dans un nouveau monde. Un monde où il n’y a pas de problèmes, mais des opportunités. Regardez le monde sous cet angle, et tout vous paraît possible. Cet article raconte ma visite de l’école José Antonio Encinas Franco, de San Juan de Miraflores, dirigée par Ana Bertha Quiroz, Fellows d’Ashoka.

L’arrivée à San Juan de Miraflores choque. Il faut savoir que San Juan de Miraflores est un district de Lima qui est délimité au nord par le district de Santiago de Surco. Alors que Surco se caractérise par ses espaces verts, ses quartiers résidentiels fermés, ses villas pour classes moyennes, et son Université Ricardo Palma à l’architecture ostentatoire, c’est un paysage « urbain » bien différent que l’on trouve à San Juan. Les trottoirs disparaissent pour laisser place à la terre brute. Les routes deviennent subitement défoncées. Les poubelles y sont éventrées. Les taxis sont remplacés par les moto-taxis. Les maisons perdent leurs deuxièmes étages. Surtout, la poussière envahit l’espace, tout devient sale et gris alors que l’on monte sur le flanc de colline où s’entassent des habitations de plus en plus vétustes. 
Tout en haut, les plus pauvres se sont installés sur un ancien élevage de cochon (selon l’expérience de mon amie Marie qui, par erreur de transport, s’est retrouvée tout là haut) et vivent dans une odeur pestilentielle et, surtout, dans des conditions d’hygiènes déplorables.  

Lima n’est pas une ville particulièrement saine et l’air y est bien souvent peu respirable. Mais, à San Juan de Miraflores, comme dans tous les districts pauvres de Lima, c’est la saleté et la poussière qui vous assaillent.

Pourtant, au cœur de cela, une école, bien différente des autres, promeut la santé, le bien-être, le respect de l’environnement, la créativité et la citoyenneté.

Une école de la vie



La réalité de l’éducation dans Pamplona (quartier de l’école d’Ana), ce sont des enfants qui travaillent en dehors des cours, des élèves qui s’endorment durant les classes, des enfants en état de mal voire sous nutrition, des conditions de vie et d’hygiène déplorables, et enfin, et surtout, une sorte d’acceptation du fait d’être pauvre, et donc sales. C’est en tout cas ce qu’a trouvé Ana lorsqu’elle est arrivée au début des années 1990 comme directrice de l’école/collège de José Antonio Encinas Franco.  Depuis ce temps, elle et ses collègues ne travaillent que pour un objectif commun : permettre aux enfants de sentir bien et de s’épanouir.

L’école d’Ana n’est pas la panacée pour le quartier et n’ouvre malheureusement pas toutes les portes vers la richesse et le développement économique mais elle a le grand mérite d’être une école de la vie, qui change, peu à peu, les habitudes et l’estime de soi de chaque enfant, et par extension, de sa famille. Pour cela, Ana a attaqué un par un tous les problèmes de l’école et des enfants pour en trouver des solutions  et les intégrer dans son programme pédagogique.


Education et santé



La première impression que l’on a en entrant dans l’école, c’est un sentiment de propreté et de rangement qui contraste avec la saleté de l’extérieur. On y trouve des poubelles dans tous les recoins (ce qui au Pérou en général, est très rare !), des instructions sur comment se laver les mains et comment utiliser l’eau (ne jamais boire l’eau du robinet), et même une infirmerie qui organise des campagnes de vaccinations au cours de l’année scolaire.



Si cela peut paraître normal à nos yeux, ceci est presque révolutionnaire ici. Surtout lorsqu’Ana nous raconte que « lorsque nous sommes arrivés ici, un groupe de professeur et moi, cette école était connue sous le nom de « La Basura » - La Poubelle. C’était simple : être pauvre voulait dire être sale ». L’école était un selon elle un nid de microbes et de maladies et les enfants étudiaient dans des conditions horribles.

C’est donc à travers un fort travail d’éducation sur la santé et l’hygiène, relevant de sa propre volonté et non de normes publiques, qu’Ana a réussit à appliquer dans son école des normes d’hygiènes strictes que les enfants intègrent et exportent dans leurs familles. En parallèle de cela, et pour éviter que les parents se sentent inférieurs à leurs enfants, Ana a mis en place un programme d’éducation pour les mères et pères de ses élèves sur les thèmes de la santé et de l’hygiène.

Parce qu’avant tout, avoir un avenir, c’est vivre dans un environnement sain et être en bonne santé. 



Education et citoyenneté

Une autre composante très importante de l’école d’Ana, c’est la citoyenneté. Le jour de ma visite était également celui des élections du comité représentant des élèves ; j’ai donc pu observer de près cette particularité.



L’école forme les citoyens de demain. Jusque là, rien de bien nouveau : tous les régimes et pays du monde entier l’ont compris. Au Pérou, chaque élève doit chanter l’hymne national au petit matin et défiler lors des Fiestas Patrias (Fête de la Patrie). De plus, et de manière plus concrète, les élèves doivent élire des représentants et ce dans tous les Colegios péruviens.

Quelles sont donc les particularités du véritable laboratoire de citoyenneté d’Ana?

-         Non pas un mais plusieurs délégués

Tout d’abord, chaque classe désigne non pas un mais plusieurs délégués et chacun ont une spécialisation : délégué de la santé, délégué de la défense de l’enfant, délégué de l’auto-estime,… Au total, ce sont environ 7 délégués qui sont désigné par classe pour représenter leurs camarades selon tels ou tels thèmes. Il s’agit presque d’un mini gouvernement que l’on trouve dans chaque classe.

Au niveau du collège entier, il existe un conseil des élèves : ce sont les délégués de l’ensemble des élèves, également répartis selon chaque catégorie.

 Etre délégué, un honneur

Ensuite, être délégué n’est pas une tâche que l’on assume « parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse… ». 
Etre délégué est un vrai poste honorifique, qui octroie une véritable reconnaissance sociale au sein de l’école. 
De par ce fait, la plupart des élèves ont déjà été délégués ou ce sont déjà présentés pour l’être.

Des élections pour et par les élèves, aussi jeunes soient-ils





Lors du processus d’élections, qui a lieu dans chaque classe, de la première année de primaire (5 ans) à la dernière année du secondaire (16 ans), les élèves sont complètement autonomes. Ce sont eux qui organisent le déplacement des élèves, l’inscription sur les listes, la vérification de la pièce d’identité, la prise d’empreinte et enfin, le vote, fait dans des petites cabines spécialement conçus pour l’occasion. Le comité électorale, uniquement composé d’élèves, est en charge du bon déroulement, tant au niveau organisationnel qu’au niveau de la liberté des votes, de l’élection.

Avant les élections, chaque élève a reçu une formation donnée par les délégués (eux-mêmes formés par une association de défense de l’enfance), sur le processus de vote. Par ailleurs, chaque liste a pu présenter son programme devant ses camarades avant les élections.



-         Un modèle entièrement participatif

Impressionnée par ce processus d’élection entièrement dirigée par les élèves, je demande à Ana son rôle dans tout cela. C’est alors qu’elle m’explique que, contrairement aux autres écoles où le directeur se positionne tout en haut de la hiérarchie de l’école, elle a mis en place un modèle participatif, sous la forme d’un cercle dont le centre est l’élève et autour duquel gravite toutes les autres organes de l’école (incluant également l’association de parents d’élèves).

Pour avoir rencontré le président du  comité électoral (16 ans) et la présidente du conseil des élèves sortant (16 ans), tous deux délégués depuis la primaire, je vous assure n’avoir jamais rencontré d’élèves aussi matures… Plus qu’une école, il s’agit d’un laboratoire de citoyenneté. Dans un pays où la corruption et les scandales politiques font si souvent la une des journaux, cela donne de l’espoir…


Parce qu’aussi, avoir un avenir, c’est exister, connaître ses droits et devoirs, participer, être citoyen.

Education et microentreprises

Etre un enfant à Pamplona, c’est devoir travailler très tôt pour aider sa famille. Ceci est une réalité à laquelle Ana a du faire face. Toujours dans son optique de permettre aux enfants de s’épanouir et de vivre comme des enfants, elle a donc mis en place des ateliers où les enfants développent leurs capacités et leurs talents pour qu’ils puissent, par la suite et s’ils le souhaitent, avoir leur propre petite entreprise. Cela ne les empêchera surement pas de travailler très jeunes. Mais au moins, ils auront certaines capacités qui leur 
permettra d’être plus indépendants et moins exploités.

Partant de cette vision assez réaliste des choses, les ateliers « Ideas de negocios » permettent aux enfants de créer, à travers des matériaux qu’ils achètent eux-mêmes, des objets d’artisanat pour pouvoir les vendre par la suite. Les enfants peuvent également apprendre à cuisiner pour pouvoir vendre par la suite certains plats.



Pour être franche, je reste assez divisée sur cette dernière composante de l’école d’Ana. Si je reconnais l’idée, j’ai du mal à concevoir comment cela peut vraiment aider les enfants, bien que, il faut l’admettre, leurs produits soient de très bonne qualité. Cette mesure a au moins le mérite de développer la créativité des élèves, leur côté « manuel » dont ils auront certainement besoin dans leur vraie vie.

Parce qu’aussi, avoir un avenir, c’est se prendre en main, se débrouiller, quoiqu’il arrive.

Education et opportunités

Ceci m’amène donc à mes impressions finales sur cette visite. Si je reste absolument étonnée et émerveillée par les efforts faits en termes de santé et de citoyenneté, c’est avec le cœur un peu lourd et triste que je rentre chez moi. Une seule question me trotte dans la tête : que vont devenir ces enfants ? Quelles opportunités ont-ils ?

Seuls 10 sur 150 iront à l’université. La principale barrière : le financement. L’université a beau être publique, les parents n’ont même pas les moyens de leurs payer le transport journalier vers un établissement d’éducation supérieur.

Si les élèves d’Ana sortent sans conteste du collège avec plus de valeurs citoyennes, plus de capacités, plus d’estime de soi et d’envie de poursuivre, la barrière économique reste souvent la plus haute. Ce facteur externe ne rend pas le travail d’Ana inutile, loin de là, mais limite son ampleur.

Quel défi pour Ana ? Permettre à ses élèves qui grâce à son travail ont toute la volonté du monde  d’obtenir des bourses pour continuer leurs études dans le supérieur, décrocher un meilleur emploi et rompre le cycle de la pauvreté.




dimanche 6 novembre 2011

"Be the change you want to see in the world." Gandhi.

Après plusieurs semaines passées à vitesse grand V, plusieurs weekends passés en dehors de Lima et un voyage de quelques jours dans le Nord du Chili, je trouve enfin le temps d’alimenter ce blog. En réalité, plusieurs expériences de ce mois d’Octobre vont finalement s’entremêler dans cet article. J’ai en effet décidé de faire de celui-ci  à la fois une sorte de newsletter de ma vie péruvienne et, via un travail de contextualisation, ma réflexion personnelle sur le thème du changement.

Je voudrais commencer ici par mon expérience dans les bidonvilles de San Juan de Lurigancho via l’ONG Un Techo Para Mi Pais.


Un Techo Para Mi Pais (Littéralement : un toit pour mon pays) est une association de la société civile plutôt connue mondialement et très connu en Amérique Latine. Née au Chili d’un groupe d’étudiants révolté par la pauvreté extrême présente dans leur pays, l’ONG se donne comme  mission « d’améliorer la qualité de vie des familles en situation de pauvreté à travers de la construction de logement d’urgence et la mise en place de plan d’habilitation social, via un travail conjoint entre des jeunes volontaires et ces communautés ». Concrètement,  UTPMP sélectionne certaines familles de quartiers pauvres des grandes villes du continent pour leur apporter une « maison » d’urgence plus saine, plus solide et plus commode. Parallèlement, UTPMP recrute pour un weekend ou pour quelques jours des étudiants volontaires pour venir construire avec les familles sélectionnées les dîtes maisons afin de leur ouvrir les yeux sur la situation de certaines populations au sein de leur propre ville.

Malgré le côté « Bonne conscience de riche » de ce programme, j’ai décidé de participer à une de ces constructions surtout afin de prendre contact avec ce monde dont on parle beaucoup et que l’on connaît peu, ce monde qui nous indigne sans qu’on en mesure vraiment les causes et les conséquences, ce monde que l’on sait présent sans toutefois le voir directement : je parle du monde des « bidonvilles », favelas au Brésil, que l’on appelle gentiment ici « pueblos jovenes » (villages jeunes »).


Me voilà donc partie pour un weekend à San Juan De Lurigancho, district le plus pauvre de Lima, à environ 1h30 de Miraflores. L’objectif est de construire une maison en bois sur le petit terrain de la famille qui nous a été assignée : la famille de Victoriano (oncle), Concepciona (tante) et de Roberto (neveu).

Joie des enfants de la famille lorsque nous installons le plancher

Déjeuner délicieux avec la famille


Un peu d'escalade pour fixer "el Techo"

Inauguration de la maison















« Ils-n’ont-pas »

Au-delà de l’expérience humaine en soi, je découvre pour la première fois ce que l’on appelle « bidonville ». Il s’agit surtout d’un ensemble de « ils-n’ont-pas » : ils n’ont pas d’accès à l’eau potable, ils n’ont pas d’accès sécurisé à l’électricité, ils n’ont pas de système de ramassage des déchets, ils n’ont pas d’environnement sain et propre, ils n’ont pas de place, ils n’ont pas d’accès facile à leur domicile,…

« Ils » : une génération trompée et sacrifiée.

Qui sont ces « ils ? ».

J’aimerai pouvoir dire que ce sont des personnes qui transpirent la joie de vivre et la simplicité de la pauvreté. Mais la vérité est qu’à San Juan de Lurigancho, j’ai rencontré des pères de familles qui travaille de jour (comme moto-taxi, épicier ou conducteur de combis) et de nuit (comme gardiens de nuit ou boulanger). Ces pères de familles semblent ne jamais se relâcher : ils vivent pour travailler et ne s’autorisent que très peu de repos et relaxation. Ce sont des forces de la nature, forgés par la misère, qui se battent face à tous ces « ils-n’ont-pas ».

La majorité de ces familles viennent de province et ont émigré à Lima dans l’espoir de trouver un meilleur cadre de vie. Victoriano m’a raconté qu’il a choisi ce terrain parmi ceux que lui proposait l’Etat parce que ce dernier lui avait promis un accès à l’eau potable et à l’électricité dans les mois qui suivraient son installation. Cela fait 6 ans que Victoriano et sa famille sont installés et les promesses n’ont évidemment pas été tenus. Il s’agit donc bien d’une génération trompée, trompée par un Etat qui n’apporte pas à sa population les premières nécessités.

Les bassines pour transporter l'eau (il y avait bien un  robinet mais il fuyait beaucoup)
Ces bassines servent également pour se laver

Si ces promesses ne sont pas tenues, pourquoi ne retournent-ils pas d’où ils viennent, où ils avaient pour la plupart des conditions de vie meilleures, avec plus d’espaces et des terres à cultiver ? Alors que je pose la question à Victoriano, il me répond qu’au moins, ici, à Lima, ses enfants peuvent aller à l’école. Et oui, même si ces enfants doivent marcher pendant une petite heure pour aller à l’école, ils ont en effet accès à une éducation primaire et secondaire. L’éducation, porte d’entrée vers un avenir social plus radieux, semble donc être la raison qui pousse ses pères de familles à vivre dans ces conditions. En ce sens, il s’agit d’une génération sacrifiée, sacrifiée pour l’avenir de leurs enfants. Pourtant, l’espoir que représente l’éducation au Pérou reste très mince, faute d’un système éducatif qui permette l’inclusion sociale.

A travers de cette réflexion, je voudrais venir à la conclusion suivante : ces populations vivent dans des conditions de vie terribles, payant l’eau beaucoup plus chère que n’importe quelle population riche, vivant sur une déchèterie génératrice de maladies, ignorant les principes d’hygiène élémentaires, à cause d’un manque d’action politique de la part de l’Etat péruvien.

Il s’agit en effet de l’impression la plus forte que m’a laissée ce weekend sur le cœur et l’esprit. Certes, nous avons aidé cette famille à ne plus vivre à 12 dans 10m² dans un taudis fait de bric à brac. Ceci dit, cette famille va continuer à vivre à 12 dans 18m² dans une maison en bois sans eau et sans électricité,  loin de toute influence des pouvoirs publics.

Mon expérience avec Un Techo Para Mi Pais, a généré en moi indignation, colère et surtout frustration : l’impression terrible de n’avoir fait que très peu pour aider ces personnes, l’impression terrible de rester impuissante face à l’ampleur du problème.

Cela m’a poussé à réfléchir à la question suivante : comment changer la situation ?


Comment générer un changement global, durable, irréversible, en bref, systématique ?

« Un entrepreneur social ne se contente pas de donner un poisson, ou d’apprendre à pêcher, il ne sera satisfait que lorsqu’il aura révolutionné toute l’industrie de la pêche ». 
Bill Drayton, président-fondateur d’Ashoka.

Lorsque je parle de changement, je veux parler d’un changement global (ample dans l’espace), durable (ample dans le temps) et irréversible (construit sur des bases telles que l’on ne pourra pas revenir à la situation antérieure). Je veux parler d’un changement systémique : il s’agit de changer chaque rouage du système qui crée telle ou telle situation insatisfaisante.

Cette vision systématique du changement n’est pas celle d’Un Techo Para Mi Pais. En revanche, il s’agit de celle d’Ashoka et de chacun des entrepreneurs sociaux qu’Ashoka sélectionne et soutient. Ici se trouve le lien entre mon expérience à Techo et mon travail avec Ashoka.

J’admire le travail d’UTPMP, mais cette association travaille dans l’urgence et offre des solutions de courts termes à ces populations. Il existe bien des programmes d’éducation à la santé et au développement de l’économie familiale, mais finalement, en excluant l’Etat de son travail, UTPMP ne pourra jamais éradiquer les bidonvilles.  

Ceci m’amène à expliquer comment Ashoka et ses fellows procède pour parvenir à un changement systématique. Je développerai surement dans un autre article certains exemples de Fellows qui ont réussi à produire ce changement systématique dans leur domaine.

1/ Innovation sociale locale.

L’entrepreneur voit sur le marché des opportunités de faire du business en répondant à un besoin. Pour cela, il invente et commercialise un produit ou un service répondant au besoin en question. L’entrepreneur social, de la même manière, voit dans la société des problèmes sociaux, qu’il transforme en opportunité de créer une activité permettant de répondre à un besoin social. Il invente une solution au problème social.  Il s’agit d’une innovation sociale.
La plupart des Fellows d’Ashoka mettent en place leur innovation sociale, la teste, à une échelle très réduite d’une communauté, d’un village ou d’une population très particulière. 

Exemple : Fabio Rosa, au Brésil, est arrivé dans une communauté rurale reculé en tant qu’agent publique spécialiste de l’agroalimentaire. Il s’est rendu compte que sans électricité, la communauté rurale n’avait aucune chance de développer sa production agricole. Il se donne donc comme mission d’apporter l’electricité au village. En parlant avec plusieurs spécialistes il met au point un système peu coûteux de faire parvenir l’électricité. Il le met en place dans le village.


2/ Développement spatial:

Une fois l’innovation sociale testée et reconnue comme une véritable solution au problème social ciblé, l’entrepreneur social vise à changer d’échelle : il développe son modèle dans l’espace.

Fabio Rosa, une fois son modèle testé dans son village d’origine, commence à le développer dans d’autres villages.

3/   Politiques publiques :

Cette étape est plutôt en réalité le résultat attendu d’un processus parallèle à toutes les actions de l’entrepreneur social qui vise un changement systématique. Ce processus vise en effet à l’implémentation de politiques publiques local, régional, nationale voire internationale répondant au problème social que l’entrepreneur adresse : l’objectif est de rendre son entreprise social inutile.

Ceci suppose trois éléments que j’observe chaque jour dans le travail que nous faisons avec Universidad Coherente ou avec Ashoka

--> Un travail permanent pour faire pression sur les politiques publiques en mettant sur l’agenda national le thème en question 
--> Un travail permanent pour développer ses relations directes avec le gouvernement : l’idée est de soutenir et aider le gouvernement à être acteur du changement
--> Se présenter comme une solution au problème social : le pilote de l’entrepreneur social doit servir de modèle à l’Etat dans la mise en place de politiques publiques

Fabio Rosa, pour mettre en place son système d’acheminement de l’electricité, travaille en étroite relation avec l’Etat. Petit à petit, offrant à l’Etat une solution peu coûteuse de répondre à un problème récurrent dans un pays aussi grand et rural que le Brésil, Fabio Rosa parvient à faire mettre en place par le gouvernement son système dans toutes les régions du pays.

Cette stratégie de changement est évidement extrêmement simplifiée ici et selon les cas varient énormément. Mais l’idée est la suivante : au Pérou (et je pense dans beaucoup d’autres pays), la société civile ne peut seule permettre un changement systématique. Il  y aura changement systématique lorsque l’Etat, utilisant les solutions apportées par la société civile,  prendra en charge une part de ce changement.

Ceci soulève de nombreux thèmes que je développerai peut-être par la suite, notamment celui la faiblesse de l’Etat péruvien ou encore celui de son incapacité à agir dans les provinces péruviennes. 

dimanche 9 octobre 2011

Souvenirs de voyages - Focus Région Lima

Le Pérou représente environ 2 fois la France en superficie. Les routes y sont environ 10 fois moins développés. Le système de transport (mis à part peut être celui des bus) également. Il en résulte que les distances prennent vite, ici, des proportions impressionnantes. Pour vous donner une idée, en 5 semaines de voyages nous avons parcouru près de 8000 km et passé plus de 130 heures dans le bus (divisez par 24h et vous vous rendrez compte que nous y avons passé près d'une semaine!). Autres chiffres : entre Lima et Cuzco, il y a 1102 km, entre Lima et Arequipa, 1009 et entre Lima et Tumbes, 1320. Et je ne vous parle pas d'Iquitos, ville amazonienne uniquement accessible par avion ou par bateau (3 à 5 jours de navigation).

Quelles sont les conséquences de cela?

1) Tout est relatif. Après tout, 12h de bus, c'est pas si loin.
2) La région de Lima est la seule région accessible pour mes weekends de deux jours.

Je découvre donc petit à petit le tourisme réservé aux péruviens, plus précisément aux liménéens. Et en toute franchise, cela vaut le détour.

Les images valant souvent mieux que les photos, voilà un aperçu de ce que l'on peut voir à quelques heures de Lima dans cette région plongée dans un perpétuel printemps.

La route vers Marcahuasi et Marcahuasi 


Vallée vers Marcahuasi dans laquelle nous avons passé des heures...

....Dans notre super 4x4

...à demander notre chemin toutes les 20 minutes et à obtenir la réponse perpétuel "20 minutos no mas..."

Après 7h de déambulation de jour et de nuit au bord de précipices et une nuit  en camping sur le terrain de foot d'un petit village, nous arrivons enfin à San Pedro de Casta! 




Tuna

Site de Marcahuasi, où nous étions censé dormir ! 

Le site est connu pour ses étranges formes qui se remarquent dans les  rochers 

... et ses immenses plaines à plus de 4000 mètres d'altitude

Le Monumento de la Humanidad qui change d'expression en fonction de la position du soleil. Les scientifiques sont encore partagé entre l'explication "rationnelle" selon laquelle tout cela est le résultat de l'érosion et l'explication "anthropologique" selon laquelle ces formes seraient le fait d'une civilisation bien antérieure à toutes celles déjà connues. 

Paysages de montages absolument époustouflants...

Au coucher du soleil...avant un retour à Lima (beaucoup plus rapide par le bon chemin :P) ! 


Route vers Lunahuana - Lunahuana




Première plage sur laquelle nous nous arrêtons : restaurants désaffectés

Seconde plage : Cerro Azul où nous avons vu des dauphins ! 

Vallée entre Cañete et Lunahuana 


Lunahuana à la tombée de la nuit


Visite des bodegas de la région, productrice de Pisco ! 

Pont suspendu 

Poteau électrique, au dessus du fleuve que nous avons empreinté en  Rafting! 

L'équipe de choc  de ces deux voyages (falta Camille!)
Voici donc un aperçu de ce que l'on peut voir dans la région de Lima, le plus important pour les liménéens étant de trouver le soleil qui fuit la capitale pendant les 5 mois allant de juin à Octobre!


    dimanche 2 octobre 2011

    Complexité Péruvienne


    Le Pérou n’est pas un pays pauvre. Plutôt un pays avec des pauvres. C’est là toute la complexité d’un pays qui connaît un développement économique plus rapide que son développement social. Une complexité que je ne m’attendais pas à trouver.

    Quelques chiffres macroéconomiques :
    -          Croissance économique 2010 : 8,8 %
    -          Premier pays producteur d’argent au monde
    -          Second pays producteur de cuivre au monde
    -          Premier pays producteur d’or, de zinc, de plomb et d’étain
    -          Le budget public est 3 fois plus important que ce qu’il était en 2002

    En revanche, 1/3 de la population vit sous le seuil de pauvreté (moins de 1 dollar par jour). 10 millions de personnes, habitant principalement dans les régions rurales et n’ayant pas ou peu accès à l’eau courante, à l’électricité et à des services de santé efficaces. Une autre grande partie de la population vit avec des revenus très modestes notamment dans les grandes villes : taxis, gérants ou vendeurs de petites imprimeries ou dans la vente de téléphones ou carte SIM…Enfin, le Pérou, selon le World Economic Forum Report (qui mesure le niveau de compétitivité des pays), souffre d’infrastructures peu développées (notamment en ce qui concerne le système de transport).

    Il semble donc que le plus grand défi du Pérou aujourd’hui est d’apprendre à gérer son développement économique non seulement pour que celui-ci profite à toute la population mais également pour qu’il soit durable.

    Pour cela, il me semble que ce qu’il manque au Pérou, ce sont des institutions plus fortes, capables de faire appliquer de manière plus efficaces des politiques publiques plus déterminées. Les institutions péruviennes sont en effet très faibles ce qui empêche une gestion efficace des ressources publiques.

    Un exemple parlant : l’utilisation du canon minero (impôt que perçoit l’Etat sur l’activité des entreprises minières sur son territoire) par les universités publiques

    •         5% de cet impôt est reversé directement aux Universités Publiques pour financer la recherche. Cela revenait en 2010 a environ 2,4 milliards de soles (650 millions d’Euros)
    •         La meilleure université publique en termes de recherche a publié entre 2005 et 2010 416 production scientifiques alors que l’Université de Sao Paulo, sur la même période en a publié plus de 40 00
    •         En 2010, les universités publiques n’ont dépensé que 16% du canon qu’elles avaient reçu.

    Ceci n’est pas le fait de la corruption comme on pourrait le penser au premier abord.
    Il s’agit en fait d’un problème administrativo-légal qui rend la gestion de cet argent absolument impossible.

    Le problème ici n’est donc pas un manque d’argent sinon un manque de gestion appropriée de cet argent et surtout un manque de politique publique efficace.

    Il semple que ce qui s’observe au niveau des universités (qui est celui que je connais le mieux), se retrouve dans tous les autres zones d’intervention publique.

    Le Pérou doit donc entre autre apprendre, à mon avis, à gérer ses ressources de manière plus efficace afin que celles-ci profitent au développement social du pays. En renforçant ses institutions, le Pérou pourrait utiliser les revenus provenant des ressources minières non seulement pour permettre l’émergence d’une société plus inclusive mais également pour apporter à cette société les infrastructures techniques (transport…) et social (éducation, santé, sécurité) à celle-ci. Sans ces efforts (auquel il faudrait ajouter celui de diversifier ses sources de revenus), le développement péruvien ne sera pas possible.